Direction New York, l’état et non la ville. La raison de ce voyage : un film, ou plutôt une émission de télévision avec Armando, d’Armando’s Outdoor Expedition pour visiter un pourvoyeur qu’il représente pour son agence de placement de voyages de chasse et de pêche. Au programme, chasse à l’outarde dans l’état de New York avec Colorado Buck qui est venu nous revisiter pour tourner une émission sur le sujet. Je me suis donc déguisé en caméraman pour l’occasion et j’ai suivi la troupe en gobant attentivement tous les petits trucs du métier que m’expliquait Larry Causey, le maître d’œuvre derrière toutes les aventures de Colorado Buck à travers le monde, qui avait fait le voyage lui aussi. Arrivé sur place, plus précisément au Westview Lodge & Marina situé sur le bord du lac Ontario a Brownsville, où le propriétaire de la pourvoirie Bill Saiff opère une pourvoirie de pêche en été et un service de guide à la sauvagine en automne.

Premier arrêt, direction salle à manger pour prendre un petit gueuleton question de souper tardivement. Ambiance très relaxe dans un endroit très chaleureux au style resto-bar, pub de marins mélange de chasse et de pêche à l’américaine, vous voyez! Je suis assis là devant un nacho très ordinaire, à boire une bière américaine fade à écouter les deux légendes qui se parlent du bon vieux temps. La table est silencieuse et on écoute Bill Saiff et Colorado Buck qui comptent à leur deux plus de 65 ans d’expérience dans le monde du show-business de la chasse et de la pêche américaine. Je suis là, à siroter une Coor’s Light américaine, et petit à petit je me rends compte que ce qui n’était qu’une conversation de routine entre des clients et un pourvoyeur se transforme tranquillement en un tête-à-tête privilégié où deux légendes de la chasse font une sortie fulgurante et se vident le cœur sur la situation actuelle dans le monde de la chasse. Wow! Sérieusement, je n’en demandais pas autant et je suis convaincu que nos lecteurs voudraient entendre ce qui s’est dit ce soir-là. Voici donc, en exclusivité quelques bribes de cette magnifique conversation des experts de l’Antichambre de la chasse et de la pêche où les intervenants aguerris de 30 et 35 années passées à vivre du domaine ont pu échanger avec une recrue assoiffée de ce genre de conversations où ils ont parlé franchement en mettant leurs tripes sur la table et en oubliant tous les artifices auxquels les Américains nous ont habitués.

Toutes les conditions gagnantes étaient réunies pour que pendant l’action tu te rendes compte que tu vis une expérience unique. Petit resto-bar sombre avec décorations en bois, musique de country américain en trame sonore, nourriture ordinaire avec bière américaine peu alcoolisée. Une vieille table en bois usée avec des chaises style chalet où la décoration ressemble aussi à un chalet, avec des photos de pêche et des bêtes empaillées. Un peu plus loin une vieille table de billard tachée, un vieux flipper d’une autre époque et une serveuse américaine grassouillette et très sympathique. À ma droite, Bill Saiff qui vient d’arriver et qui commande une sorte de « Stew crevette poulet » et qui commence la conversation avec Colorado Buck comme n’importe quel pourvoyeur qui rencontre un client. Nous sommes assis, témoins privilégiés d’une conversation intime avec deux légendes qui vont se vider le cœur sur le sujet.

Et c’est parti, comme toutes les conversations entre deux vieux. “Te rappelles-tu de ce bon vieux John Spartan, je ne sais pas où il est rendu? Tu te rappelles de ce qu’il avait fait à Cleveland? Ah oui ce foutu John, C’était un foutu bon Jack. Oui, tu as bien raison. C’était le bon vieux temps! Oui ça c’est bien vrai, maintenant les choses ont bien changé. Prends juste en exemple…” Et la table est mise:

Bill Saiff: Je trouve qu’aujourd’hui les choses vont trop vite. Tout le show-business des vidéos de chasse et de pêche est orienté vers l’argent. Ce n’est qu’une question de faire de l’argent. Toute la technique est oubliée. C’est très loin de la réalité. Tu sais moi je guide depuis plus de 35 ans, et la raison pour laquelle je suis encore dans le domaine est que je maîtrise la technique. Je connais mon territoire, je connais les gibiers et les poissons et je sais comment, quand et où utiliser les techniques appropriées. Ce n’est même pas une question de tout ce qu’ils essaient de nous vendre. Tout est une question de base.

Colorado Buck: Tu as raison les choses vont tellement vite, ce n’est vraiment plus ce que c’était. Les gens n’ont même pas idée comment on a du trimer dure pour devenir ce qu’on est aujourd’hui. C’est incroyable, on en parlait justement hier en revenant de la chasse. Ce n’est vraiment plus ce que c’était.

Bill Saiff: Ça fait 35 ans que je gagne ma vie avec mon service de guide et je n’ai pas commencé comme je suis là présentement. J’ai commencé tranquillement j’ai bâti mon entreprise en travaillant dur chaque saison. Prends par exemple toutes les conneries que les compagnies essaient de nous faire croire, que ce soit ça qui va te faire tuer un gros Buck ou prendre plus de poisson. C’est incroyable que les gens gobent ça sans dire un mot. Tous les habits de chasse, tout le camo, le produit contre les odeurs, les “treestands” et, etc., c’est une vraie blague. Tu sais comment j’ai tué mon dernier chevreuil à la fin septembre? Eh bien, j’ai trouvé un sentier où j’ai regardé dans quelle direction allaient les pistes et je me suis assis sur le bord d’un arbre comme on fait pour la chasse à la dinde sauvage. Le chevreuil est venu et je l’ai tiré. Un beau 8 pointes, sans habit de chasse de telle marque, pas de cache odeur ni de “treestand”. Juste mes connaissances du gibier, le sens du vent et des techniques de chasse appropriées et voilà, c’est ça la chasse!

Colorado Buck: Si tu savais combien de bêtes j’ai tuées juste avec ma bonne vieille paire de jeans et ma chemise à carreaux. Haha, le camo?!!

Bill Saiff: C’est vrai, ce n’est pas l’enveloppe qu’il faut regarder, c’est les connaissances. Ça fait tellement longtemps que je filme mes chasses, que je fais des vidéos. Tu sais le monde actuel ne mène nulle part. Le marché est malade, tout ce qui compte c’est un gros panache, un gros Buck, un quota plein. Ce n’est pas la réalité, ce n’est pas toujours comme ça et ce n’est pas juste ça.

Colorado Buck: C’est vrai, je ne suis même plus capable de regarder la télé, parfois je trouve ce domaine dégoûtant. Les gens ne se rappellent plus des bâtisseurs, des gens qui ont forgé la route dans un monde inconnu. Tu sais, ceux qui ont ouvert la voie. Maintenant ce n’est plus une question de connaissance et d’être un vrai chasseur, c’est juste une question d’argent. Un parfait inconnu ne se pointe avec aucune connaissance sur la chasse, papa sort l’argent et voilà que le gars a son propre show télé. En six mois un parfait inconnu, arrive et nous parle de tels produits, qui selon lui est très bon et voilà, les gens vont l’acheter. Quelques mois plus tard, le jeune se vire de bord, papa sort encore l’argent pour un autre show de télé et le jeune est maintenant rendu pour une autre compagnie et il dit carrément le contraire. Il n’y a plus aucune fidélité envers ceux qui t’ont mis au monde. C’est vraiment de la merde! Le monde nous regarde et pense que c’est toujours facile, que l’argent tombe des arbres et qu’on va aller dans le bois et appuyer sur la détente. Ce n’est pas ça du tout. Tu sais, il n’y a plus de passion, c’est juste de l’argent. Tu sais comment j’ai commencé? Très jeune j’ai toujours chassé et pêché, j’aimais tellement ça que je voulais en faire un métier. J’ai donc commencé à travailler pour un taxidermiste et je gagnais « des peanuts ». Mais je travaillais fort parce que j’aimais vraiment ça. Je faisais des heures supplémentaires pour en apprendre toujours plus, c’était ça la paye. Puis j’ai ramassé mon argent pour acheter un chien et j’ai commencé à guider et de fil en aiguille j’ai grossi et je me suis acheté d’autres chiens et engagé des guides pour travailler avec moi. C’est ça la vie! Il y a des matins où je me demande pourquoi je fais ce métier lorsque j’entends des histoires de certaines personnes comme celle d’un gars qui fait tuer un lion à sa fille de 10 ans. Elle a seulement 10 ans et elle tue un lion, vous imaginez c’est quoi la réalité pour elle? La plupart des gens vont rêver toute leur vie de tuer des bêtes de ce genre sans jamais le réaliser et elle à 10 ans elle le fait? Ce n’est pas loyal envers sa petite fille, ce n’est pas ça la vraie vie. Qu’est-ce qu’elle va vouloir tuer à 20 ans, un homme? Elle va chercher à faire quelque chose de plus malade elle va tomber dans le crack et l’héroïne? C’est complètement débile.

Bill Saiff: C’est fou! Où est-ce qu’on s’en va? Pauvre petite, elle va surement finir dans la drogue et se prostituer!

Mathieu Pouliot: Mais je vous écoute parler du bon vieux temps les gars, de l’évolution des choses et tout ça. Qu’est-ce qu’on fait alors? C’est difficile, les gens veulent des « kill shots » et des scènes où les panaches sont de plus en plus gros. Qu’est-ce qu’on doit faire, ça prend de l’action!

Colorado Buck: C’est vrai, c’est difficile, il faut toujours se dépasser, plus on en montre plus ils en veulent. Je ne sais pas quoi te dire. On parcourt le monde entier à la recherche de bêtes plus hallucinantes de fois en fois et on dirait que les gens s’en lassent. Il y a des expéditions de chasse où j’ai presque laissé ma vie et la réaction qu’on a c’est:” Ah! Le panache n’était pas si gros!”

Bill Saiff: Je crois qu’il faut revenir à la base, montrer les techniques, éduquer l’auditoire. Montrer aux gens à connaître le gibier, comment dialoguer avec eux, comme je fais avec les oiseaux quand je « call ». Moi c’est ça que j’essaie de faire avec la caméra. Je n’essaie pas de faire des séquences avec des acteurs qui jouent et qui trichent devant la caméra. Je n’essaie pas non plus de faire bouger la caméra dans tous les sens pour faire croire que ça fait plus réaliste. Je montre les choses comme elles le sont. Pas de tricherie ou de semblant. Je montre ce qu’il en est vraiment. Je crois que c’est comme ça qu’on va retourner à la source.

Colorado Buck: Moi tu sais ce que je pense, c’est de faire un retour à la source. Raconter des histoires des pionniers qui sont des légendes. Montrer c’était quoi la vraie vie. Raconter des histoires des gens fabuleux qui ne sont pas croyables. Comme ce gars qui était un pilote de brousse en Alaska, ou un autre qui a je ne sais pas combien de Grizzlys de tués. Ça, c’était des vrais, pas comme les fils à papa qui ont eu un show de télé pendant six mois et maintenant ils n’existent même plus. Je parle des gens de qui on raconte encore les exploits, des gens qui ont travaillé leur vie entière dans ce domaine, des gens qui ont des connaissances extraordinaires. Tu sais le genre de monde qui à l’expression de leur visage, même leurs rides nous démontrent qu’ils connaissent très bien ça. “Des Légendes”, ça serait un vrai bon titre pour l’émission.

Mathieu Pouliot: C’est très beau tout ça, mais que vont dire tes commanditaires? Parce que la télé, il ne faut pas oublier, ce n’est qu’une question d’argent, surtout les chaînes spécialisées.

Colorado Buck: C’est vrai, je sais. Mais il y en a qui vont embarquer je suis convaincu. Je crois qu’il faut aller chercher des commanditaires de compagnies qui offrent des produits un peu moins spécialisés comme des marques de camions ou des choses dont tout le monde se sert.

Mathieu Pouliot: Mais le problème est là, les compagnies qui s’adressent au grand public, pas nécessairement aux chasseurs, ne vont pas dire oui automatiquement. S’ils s’adressent à tout le monde, raison de plus de continuer à ne pas publier juste aux chasseurs. Ils vont rester dans des shows de télé plus généralistes à des chaînes généralistes.

Colorado Buck: C’est vrai, mais pas tous, il faut trouver les bons et leur montrer une autre vision des choses. C’est pour ça que je travaille fort sur ce projet.

Mathieu Pouliot: Je vous écoute parler depuis le début et je me demande comment moi je vais réussir dans le domaine. Vous savez, j’ai la même passion que vous pour le domaine et j’essaie d’apprendre de tout le monde que je rencontre. Mais la réalité c’est que ce n’est qu’une question d’argent. Comment je fais pour en vivre?

Colorado Buck: Il faut juste que tu continues. C’est ça le secret, c’est simple, à la fin il va rester ceux qui n’auront pas lâché. Il faut d’abord que tu travailles dans ce domaine pour la passion du sport et non pour l’argent et la gloire que cela peut t’apporter. Apprends des gens que tu rencontres, c’est l’expérience et les connaissances qui vont ne te faire évoluer rien d’autre. Si tu savais comment j’ai été pauvre à une certaine époque, mais je n’ai pas lâché, j’ai travaillé fort pour me rendre où je suis maintenant, tu n’as pas idée. Toutes ces heures supplémentaires avec les taxidermistes, juste pour en apprendre davantage, pour devenir meilleur. C’est comme ça qu’on grandit dans le domaine! Rappelle-toi qu’à la fin il va rester ceux qui n’auront pas lâché!

Bill Saiff: Bon les amis, je ne veux pas être plate, on pourrait continuer la conversation toute la nuit, mais demain on se lève à 3h30 AM pour la chasse à l’outarde, donc moi je vous laisse, je vais me coucher. Vous êtes corrects pour les chambres. Allez, bonne nuit!

À suivre…